Lettre aux amis

En 1991, lors de la première guerre du Golfe, Félix Guattari appelait de ses vœux, l’entrée dans une ère Post-média, c’est à dire une reprise en main par les usagers eux-mêmes de la fabrication de l’information:

Une des conditions primordiales des luttes actuelles est de considérer que les luttes ne se situeront pas seulement au niveau économique, au niveau politique, mais aussi au niveau de la subjectivité, en particulier au niveau mass médiatique. D’où la nécessité d’amorcer l’entrée dans une ère post-média: c’est à dire, une réappropriation des mass-médias, non seulement au niveau de la fabrication, de la recomposition de l’information; mais aussi, de la recomposition de systèmes de concertation, de dialogue, de mise en exergue de sensibilités, de ressaisies esthétiques de la production d’images et de la production audiovisuelle. C’est finalement à travers ce type de redéfinition de luttes, de pratiques sociales, de pratiques médiatiques et autres, que pourront s’amorcer et se cristalliser d’autres types de polarités alternatives. Sinon on ne voit pas du tout quels mouvements – que ce soit les mouvements de gauche existants, ni même les mouvements écologistes dans leur conception actuelle – seraient capables de bien avancer sur ce terrain.

 

Ce projet Chaosmosemedia est un projet international, fondé sur l’amitié. À commencer par celle qui nous réunissait autour de Félix. Une amitié qui aide à trouver des issues dans un monde borné, balisé, formaté, où il devient de plus en plus difficile de respirer, pas seulement pour les humains mais aussi pour toutes les espèces – animales et végétales -, de la planète. En quelque sorte, un projet de trou d’air dans la toile, pour respirer. Sortir de ces pratiques individuelles des réseaux sociaux de plus en plus gangrénés par les populismes ; même s’ils sont utiles parfois dans la transmission d’informations, comme on a pu le voir dans des moments comme « Nuits Debout » ou au moment des gilets Jaunes en France, ils fabriquent « du même », de la simplification et abolissent la multidimensionnalité des espaces de pensée.
Le but du projet est de créer un site qui nous permette d’entrer dans cette ère post-médias, de la rendre plus créatrice et plus inventive, plus sociale, au-delà de ces réseaux dits sociaux. C’est un agencement qui ferait d’agencements collectifs d’énonciation un rhizome au niveau mondial.

C’est à dire un site multi langues, où les amis s’exprimeront dans leur propre langue (italien, anglais, allemand, français, belge, brésilien, espagnol, japonais, grec…), les amis de Félix et tous ceux qui ne l’ont pas connu mais le considèrent leur ami. L’amitié telle qu’elle est définie dans l’introduction à « Qu’est-ce que la philosophie » et telle que la reprend Bifo dans la vidéo de François Pain.

… Simplement l’heure est venue pour nous de demander ce que c’est que la philosophie. Et nous n’avions pas cessé de le faire précédemment, et nous avions déjà la réponse qui n’a pas varié : la philosophie est l’art de former, d’inventer, de fabriquer des concepts. Mais il ne fallait pas seulement que la réponse recueille la question, il fallait aussi qu’elle détermine une heure, une occasion, des circonstances, des paysages et des personnages, des conditions et des inconnues de la question. Il fallait pouvoir la poser « entre amis », comme une confidence ou une confiance, ou bien face à l’ennemi comme un défi, et tout à la fois atteindre à cette heure, entre chien et loup, où l’on se méfie même de l’ami. C’est l’heure où l’on dit : « c’était ça, mais je ne sais pas si je l’ai bien dit, ni si j’ai été assez convaincant ». Et l’on s’aperçoit qu’il importe peu d’avoir bien dit ou d’avoir été convaincant, puisque de toute manière c’est ça maintenant.

Nous faisons appel à toutes les formes d’expressions. Il s’agit de mettre en circulation des vidéos et des textes de tous ordres (politiques, philosophiques, poétiques). Décrire ce qui se passe dans le monde, sans interprétation. Expliquer pourquoi il nous fait horreur. Avancer ce qui pourrait être autrement. Refaire la circulation de l’information. Echanger sur ce que nous devenons. Comment nous décloisonner ? Quels liens créer ? il s’agit de mettre en relation tous les amis qui se situent dans une continuité du travail de Félix, qui prolongent sa pensée et/ou ouvrent d’autres pistes : qu’ils soient militants, chercheurs, artistes, écrivains, vidéastes, cinéastes, poètes, musiciens, prestidigitateurs, psy ou cliniciens… Rendre ces productions visibles, lisibles, audibles, pour les partager.