L’esthétique déterritorialisée

Le fait d’avoir lu Chaosmose à plusieurs reprises n’a pas épuisé chez moi le sentiment que beaucoup de choses m’échappaient. C’est la raison pour laquelle j’ai pensé qu’il serait intéressant de le lire à plusieurs… Une lecture de ce feuilletage conceptuel, dont l’écriture polyphonique excelle à surprendre, ne saurait de toute évidence suffire. Alors qu’on est en train de lire attentivement, un plan se détache pour en croiser un autre et raccorde, sans qu’on s’en aperçoive, là où on ne s’y attend pas, dans un champ de relation différent… Loin de ces écritures qui vous tiennent par la main et entendent vous guider de façon explicite, on est ici projeté dans des zones prospectives que l’on expérimente sur une membrane multiple et « chiffonnée ». A soi de relier, de créer le sens de sa lecture dans cette écriture en excès, qui ne se laisse pas totaliser, ni synthétiser facilement — et sans doute est-ce bien ainsi. La grande vitalité ressentie à cet exercice, dont le mouvement et les vitesses d’association me rapprochent de la musique, interroge jusqu’à souhaiter une pause pour reprendre souffle — pages-abysses, pages-paysages, pages-symphonies. Y aurait-t-il une dimension non-discursive dans l’écriture de Chaosmose? Oui, sûrement, si l’on tient compte de cette façon rythmique de relier des strates et des idées, d’agencer les composantes hétérogènes d’une pensée chaosmique.

Il ne s’agit d’ailleurs peut-être pas uniquement de comprendre, mais d’éprouver et sentir de quoi il s’agit. Comme si « ne pas comprendre » nous rapprochait d’une connaissance pathique, d’un ordre autre que celui des mots. Et il me semble que dans ce livre, Guattari approche ce qu’il désigne par subjectivité pathique, qu’il reconnaît dans les états schizoïdes ou psychotiques, mais aussi chez les artistes, chez les enfants, ou encore dans les états amoureux. Il semble que ces grandeurs intensives, ces intensités a-signifiantes, soient non seulement thématisées dans Chaosmose, mais d’une certaine façon à l’œuvre dans la syntaxe même du texte. Guattari met en acte la transitivité subjective dont il parle et active in libro quelque chose de « ces entités incorporelles qu’on détecte en même temps qu’on les produit ». Chaosmose le livre, c’est déjà la chaosmose : une dramaturgie subjectivante, théâtre de composantes pathiques qui traversent les différentes dimensions expressives de la vie. La plupart du temps rangées selon des catégories linéaires, cloisonnées, ordonnées, les différents niveaux d’expression sémiotiques deviennent ici communicants, coexistants et interactifs : l’adulte coexiste avec les intensités du nourrisson, l’enfant côtoie les devenirs animaux, les individuations de langage sont à la fois pré-personnelles et collectives et ne se dissocient pas de leurs champs d’énonciation. Cette transitivité traverse les espaces-temps virtuels des signes, du développement sensoriel du tout petit aux choix existentiels de l’individu, de ses ouvertures potentielles à ses processus névrotiques et leurs résonances dans les événements collectifs et politiques.

Bien entendu, des artistes, des thérapeutes, des pédagogues, des philosophes liront Chaosmose, chacun à leur façon, probablement différemment des scientifiques, des politiques, des sociologues… Et comme Guattari le suggère lui-même, chacun investira et puisera les composantes qui lui conviennent (combien de gestes et voix intérieures se conjuguent au cours de cette lecture) — car l’enjeu d’une syntaxe polyphonique, imbrication de plans et de « sous-conversations » comme le dirait Sarraute, concerne déjà la question de la subjectivité. Celle qui n’est plus définie par un sujet unifié et qui, en deçà d’un rapport sujet-objet, fait rencontre, résonance en circulation de celui qui écrit à celui qui lit. Celle d’une relation à construire que Guattari propose, avec Bakhtine, dans un engagement partagé des signes, subjectivité transitive et multiple, couplage, activité absorbante réciproque : pourquoi quelque chose nous fait signe, …ou non ; pourquoi se retourne-t-on ?

Une subjectivité multiple et transversale

Le premier chapitre de Chaosmose intitulé « De la production de subjectivité » considère à nouveaux frais la notion de subjectivité, dans les domaines de l’éthologie des individus et des groupes, de l’écologie sociale et mentale. Guattari montre comment une refondation de la subjectivité et plus particulièrement une fonction éthico-poétique peut être déterminante pour de nouvelles pratiques politiques, cliniques, éducatives. Il est évident que le champ hétérogène des signes convoqué par Guattari dans Chaosmose passe par sa pratique psychanalytique, comme il l’annonce d’ailleurs dès l’introduction, soulignant ses activités professionnelles « dans le champ de la psychothérapie comme dans ses engagements politiques et culturels qui l’ont amené à mettre toujours plus l’accent sur la subjectivité en tant qu’elle est produite par des instances individuelles, collectives et institutionnelles ». Ces trois niveaux coexistants — individuel, collectif, institutionnel — seront d’ailleurs redéfinis1 tant dans leurs relations que dans leur production, à partir de processus de subjectivation exprimés sous de multiples facettes. Subjectivation n’opposant plus le sujet individuel et la société, non plus déterminée mais production active et polyphonique, non hiérarchique, à l’œuvre aussi bien dans un travail analytique que dans un champ artistique ou la vie d’une institution. L’hétérogénéité des composantes de subjectivation oscille transversalement de la famille à l’éducation, de l’environnement à l’art, des mobilisations politiques aux productions des médias et de l’industrie, et repose sur des dimensions sémiologiques a-signifiantes qui ne sont pas rabattues sur le langage. Ainsi l’enjeu d’une subjectivité transversale, chaosmique, est susceptible de relier les composantes éthologiques de l’infans — en-deçà de la personne — à la résonance collective au sein du socius — au-delà de la personne —, celles d’un champ pré-personnel aux individuations existentielles… La chaosmose serait une façon de construire et faire tenir un champ hétérogène, engageant la mutation d’un domaine (territoire) par une transitivité subjective et « machinique » adjacente.

Quelle est la nature de la fonction transversale qui fait tenir la chaosmose ? Cette fonction, nous dit Guattari, repose sur une sensibilité aux signes, ceux qui nous affectent et nous parlent, non moins que ceux que nous produisons. Il est remarquable que la virtualité et la polysémie des signes est souvent valorisée sous l’indice du musical, dans une fonction d’interface alliant agencement de distribution et affect partageable. On se souviendra par exemple comment, dès l’analyse que fait Guattari de la petite phrase de Vinteuil, la musique acquiert une dimension « machinique » redistribuant l’ordre des sensations, si bien que « toute une micropolitique de conformité aux modèles dominants, se trouve ainsi menacée par son irruption »2. Guattari insiste sur la consistance hétérogène de la musique, le champ sémiotique avec lequel elle se compose, sa dimension incorporelle, abstraite, sa ductilité contaminante, transversale aux catégories. L’analyse des chevauchements perceptifs chez Proust montre les possibilités d’une sémiotique ouverte, qui met en jeu la représentation de l’espace et des corps, l’irruption d’une transversalité hétérogène3. La fonction machinique de « ritournellisation » est déterritorialisante : « la ritournelle ne cessera de sortir d’elle-même, de se transversaliser et elle conduira le Narrateur à opérer une véritable et durable mutation micro-politique»4. Les régimes de signes non-discursifs sont doués de vitesses de propagation, de simultanéité polyphonique et de résonance plus fluides que les mots.

Une subjectivation créative

Comment se produisent ces échanges transversaux, entre capture et consistance? Le paradigme latent de Chaosmose est celui de la pensée de la complexité, dont les variables interactives s’écartent des modèles stables pour décrire des être physiques instables, contingents, événementiels. Les productions subjectives se constituent dans un double mouvement, oscillant entre un pôle territorialisant — les Territoires existentiels — et des composantes déterritorialisantes, ouvertures sur des systèmes de valeur aux implications sociales et culturelles — les Univers incorporels. Deux pôles que l’on considérera comme des tendances — l’une d’accélération, l’autre de ralentissement (et non comme des états stables). Ces tendances s’entrecroisent et interagissent à des degrés divers, chacune avec un double signe susceptible de s’inverser : de l’aspiration au mouvement à l’accélération excessive, du ralentissement nécessaire à l’immobilité mortifère. Tout est dosage et la processualité créative — qu’il s’agisse du travail d’une analyse ou de la mutation d’une situation — visera à dégager l’intentionnalité et à rechercher les conditions qui rendront possibles l’émergence d’instances individuelles et / ou collectives.

Bien que la subjectivité soit l’objet principal de ce chapitre introductif, les opérations « ritournellisantes » sont acquises et sous-tendent la subjectivation. La dimension processuelle et créative de la subjectivité repose sur certains segments sémiotiques susceptibles de prendre leur autonomie, de se mettre à travailler à leur propre compte et secréter de « nouveaux champs de référence ». Cette autonomisation des signes, si pertinente pour la génération des formes et des différences dans la création artistique — fonction d’isolement ou de détachement valorisée par Bakthine ­— est ici étendue aux registres existentiels : « Une singularité, une rupture de sens, une coupure, une fragmentation, le détachement d’un contenu sémiotique – à la façon dadaïste ou surréaliste – peuvent originer des foyers mutants de subjectivation5».

La question de la création est posée de façon transversale : les enjeux de l’inventivité concernent les événements de la vie, les conditions de l’émergence de soi et tous les registres existentiels qui engagent une dimension d’autonomie. La dimension autonomisante (« détachement », « extraction ») est désignée comme composante d’ordre esthétique liée à l’intentionnalité qui prend consistance dans « des matières de choix ». Il en sera de même dans le contexte analytique : comment l’analyse peut-elle faire œuvre, devenir création ? La tension inventive devient l’enjeu d’une « esthétique inconsciente » dont les fragments de contenu seront déterminants pour la schizoanalyse. La valeur que Guattari accorde au « dégagement de l’intentionnalité » et à « l’extraction de subjectités esthétiques » (objets partiels au sens psychanalytique), rend possible une complexification de la subjectivité : « J’essaie de tirer l’objet partiel psychanalytique adjacent au corps, point d’accrochage de la pulsion, vers une énonciation partielle »6. Il est évident que la question « esthétique » n’est plus arrimée à l’artistique, mais qu’elle s’autonomise et rencontre l’extériorité latente d’un dehors : ce qui nous constitue dans notre rapport aux signes — et non exclusivement au langage — actif dans tous les champ sémiotiques, traversant toutes les instances de la vie l’enfance, la famille, l’école, l’amour, le travail etc., avec la possibilité d’y accorder de la valeur. Voilà notre composante esthétique déterritorialisée, projetée dans un cadre de pensée inhabituel, confrontée à une fonction de catalyse existentielle, porteuse de matières de choix, de ruptures et recadrages, qui se déplacent transversalement dans toutes les instances de la vie. Le « nouveau paradigme esthétique » repose sur les perspectives d’une processualité subjective transversale, déterminante pour concevoir un champ paradigmatique proto-esthétique, déterritorialisation « esthétique » tout à la fois poétique, existentielle et politique.

La fonction éthico-poétique

Cette fonction éthico-poétique qui concerne toutes les instances d’une subjectivation créative n’appartient pas à l’art seulement, bien que celui-ci en soit un porte parole consistant. Le sursaut esthétique, existentiel et politique prend racine dans une disposition et une aperception sensible. Loin d’être reléguée vers les franges secondaires du beau et du superflu, la fonction poétique est première dans la posture éthico-politique, car elle s’origine sur fond d’une intentionnalité dégagée des référents signifiants circonscrits par le sens et les codes exclusifs du langage. A l’œuvre dans l’engagement artistique, cet écart au référent est expression, expérimentation, position existentielle qui exige des choix, des ruptures avec des satisfactions et des conforts convenus7. Il ne s’agit pas d’esthétiser la vie, ni de faire entrer l’art par les pores du quotidien, mais de valoriser l’enjeu existentiel qui travaille l’artistique et de s’en inspirer pour inventer d’autres espaces sur le mode éthico-existentiel. De même que l’intuition chez Bergson exigeait de l’intelligence qu’elle se retourne pour aller plus loin, la fonction éthico-poétique est l’aiguillon d’une autre conception de la vie. Non pas l’aspiration à un supplément d’âme convoité par la société bourgeoise, ni la voracité spéculative d’un marché de l’art, pas plus que l’hyper production mass-médiatique du divertissement et du spectacle, mais la détermination liminale d’une présence à soi et aux signes, désir, émergence vitale8.

Bien sûr, nous sommes très loin du marché de l’art comme des formes universalisantes de la mass-médiatisation ; Nous sommes dans le champ de détermination d’un désir mutant, existentiel. Guattari souligne combien la subjectivité pathique, à la racine de tous les modes de subjectivation, est communément dévalorisée, occultée dans la médiatisation capitalistique qui tend à la contourner systématiquement. La subjectivité inconsciente et pathique se distingue alors comme instance fondatrice de l’intentionnalité, s’opposant au sujet unifié soumis au signifiant9, défiant les principes dominants. Guattari pose ainsi les conditions d’une hétérogénèse trans-catégorielle et brasse en profondeur les possibilités de productions subjectives susceptibles de renouveler les praxis politiques, éducationnelles, collectives. Si la chaosmose invite à des pratiques transversales, désigne les opérations composites d’une déterritorialisation esthétique (décadrages, autonomisations partielles, ré-enchainements machiniques) celle-ci s’effectue nécessairement dans un ancrage temporel. La subjectivation poétique et existentielle est une réappropriation du temps, c’est la composition d’un temps qualitatif agi, orienté, qui cesse d’être extérieur pour devenir foyer intensif. Et si la chaosmose opère sur fond d’un champ de virtualité de relations et de vitesses, les processus de (re)singularisation impliqueront un ralentissement et la consistance d’un espace-temps.

L’hétérogénèse transcatégorielle

Le sens du terme esthétique est profondément renouvelé. Il ne définit plus une catégorie étanche et localisée dans la sphère du beau, mais développe des champs de possibles, « des tensions de valeur, des rapports d’hétérogénéité ». L’esthétique déterritorialisée se propage comme une fluidité première (cardinale), vecteur de relation qui se constitue selon des modalités de couplages combinés. Cette position « machinique » destitue les classes d’ordre et les catégories préétablies du politique, de l’art, de la culture, de la clinique, du corps, du temps, de l’espace, au profit d’une conception trans-catégorielle. Celle-ci travaille aux frontières de chaque domaine tout en les invitant à se resituer. Loin d’une méthode, plus éloignée encore d’un programme, la chaosmose est une proposition intensive: « une tension pour saisir la potentialité créative à la racine de la finitude sensible, « avant » qu’elle ne s’applique aux œuvres, aux concepts philosophiques, aux fonctions scientifiques, aux objets mentaux et sociaux qui fonde le nouveau paradigme esthétique »10. Indissociable de ses dimensions performative et processuelle, c’est une invitation à expérimenter ce niveau ouvert, hétérogène, qui confronte l’intentionnalité aux possibilités d’agencements d’énonciation, à la formation « d’univers de valeur ». Cette expression mutante n’a d’avenir et de réalité qu’à essaimer sous un mode a-signifiant vers des couplages impliquant nos puissances de sentir, susceptibles de s’opposer à la modélisation médiatique universalisante. Car les régimes de signes de la médiatisation capitalistique mondiale s’immiscent au niveau des processus de subjectivation et des composantes sémiologiques: comment sent-on, comment se représente-t-on, comment se détermine-t-on?11 Chaosmose convie donc les forces d’invention poïétiques, existentielles, éthiques à constituer de l’événement (transitivité des affects partageables), de l’émergence de soi aux énonciations collectives. Car si les possibilités de mutations existentielles collectives fondées sur des affects sont amplifiées par les médias, celles-ci ne sont cependant pas à l’abri de reterritorialisations conservatrices. Il s’agit de sortir l’universel, de la sérialité, de la standardisation, de l’abstraction, pour entrer dans des processus d’expérimentation et de (re)singularisation.

Loin de l’imitation, la posture de l’expérimentateur travaille au seuil des conditions de possibilités expressives, à la frontière du sens et du non sens, de l’obscur et du visible, du personnel et de l’impersonnel. L’hétérogénèse sémiotique s’écarte de la prédominance de la parole, des oppositions binaires exclusives. Comment accorder de l’attention à ce qui est en voie de consistance, au temps flottant des associations, des co-existences contradictoires ? Comment exploiter les situations dans leurs singularités, accueillir la complexité, l’humour polyphonique du non-sens, des dissonances et arythmies ? Qu’est-ce à dire ? plusieurs voix, plusieurs temps, polysémie, polysensorialité… Tant de réductions sont véhiculées par la standardisation et la normalisation médiatiques.

Comment accorder un potentiel de sens à ce qui n’en a pas encore, veiller à ne pas écraser la différence et favoriser l’instance non médiatisée d’une autonomisation, d’un détachement ? Il s’agit de petites ruptures moléculaires, imperceptibles bifurcations ou « shifter » de subjectivation qui font place à une logique pathique et révèlent l’activité non discursive d’affects pré-personnels, pré-matériels, mais néanmoins actuels et agençables.

De quoi a-t-on besoin ? Sans doute, les arts sont-ils conviés avec un crédit particulier dans ce nouveau contexte paradigmatique, car familiers d’un savoir faire lié à l’expérimentation, de rapports spécifiques aux signes, de pratiques de « ruptures » et de « suture », d’une éthique de la création.

Les processus de resingularisation marquent le différent et s’opposent à la réduction binaire, à l’homogénéisation, à l’universel.

La dimension créative de la production de subjectivité peut avoir à faire à des séries disparates, expérimenter la disjonction et le décentrement des points de vue. Elle peut explorer déplacements des référents sensoriels, cognitifs… Caractère artificiel des agencements transversaux (ex corps-son-gestes) 12

Il faut créer un espace, les conditions d’une expérience et d’une pratique, élaborer des dispositifs pour expérimenter des modes de subjectivation et des espaces-temps singuliers. Que sont par exemple les conditions d’une expérience subjective d’écoute multiple, décorrélée, dans un espace-temps non unifié, à l’image de celui dans lequel nous vivons aujourd’hui ? 13

Chaosmose confronte l’art à sa propre capacité subjective. L’art, en retour, se voit logiquement resitué dans une dynamique qui n’occulterait pas la subjectivation pathique. Le paradigme esthétique met en valeur ce qui repose sur des vecteurs de subjectivation active (et non des répétitions), sur des fonctions d’échange et de réciprocité, que ce soit au niveau de fonctions tripartites (créateur-interprète-regardeur), ou dans le transfert, qui font de la création le fait d’une transitivité latente.

En retour, cette extension machinique d’une dimension pathique aux domaines de l’existentiel, des affects prématériels, prépersonnels, individuels et collectifs peut redéfinir certains pans du champ de l’art et revaloriser par exemple le statut d’une subjectivité fondatrice en la reliant à de nouvelles sémiotiques, ouvrant un champ de possibles pour de nouvelles scènes sémiotiques.

La pensée transversale de Chaosmose a tout son sens à l’heure où le capitalisme mondial tend contrôler à les régimes de signes et fonctionnaliser la culture. La fonction poétique ou la catalyse poético-existentielle de la chaosmose pour reprendre le terme de Guattari 14 constitue un espace singulier pour repenser l’art, la pédagogie, la thérapie et aurait un avenir trans-catégoriel dépassant les cadres de l’art et gagnant les frontières d’un réel intensif.

(21 000)

Si Guattari reconnaît à l’artiste la capacité de créer les outils de cette hétérogénèse subjective, je pense qu’il s’y est lui-même employé à sa façon dans ce livre.

(cartographies schizoanalytiques)

1 Le terme de collectif  est redéfini comme « multiplicité se déployant tant au delà de l’individu, du côté du socius, qu’en deçà de la personne, du côté des intensités préverbales, relevant d’une logique des affects », F. Guattari, Chaosmose, 1992, p. 22.

2 F. Guattari, L’inconscient machinique, « Neuf agencements pour une ritournelle », 1979, p. 252.

3 F. Guattari, Chaosmose, 1992, pp. 31-35.

4 F. Guattari, L’inconscient machinique, 1979, p. 244.

5 F. Guattari, Chaosmose, 1992, p. 35.

6 F. Guattari, Chaosmose, 1992, p. 27.

7 « Le nouveau paradigme esthétique a des implications éthico-politiques parce que parler de création, c’est parler de responsabilité de l’instance créatrice à l’égard de la chose créée, inflexion d’état de chose, bifurcation au-delà des schémas préétablis, prise en compte, là encore, du sort de l’altérité dans ses modalités extrêmes. » Félix Guattari, Chaosmose, Paris, Galilée, 1992, p.149.

8 On peut en trouver l’indice dans des situations existentielles extrêmes, de celles du grasping à l’expérience esthétique de survie de Imre Kertesz, dans Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas, Actes Sud, 1995.

9 F. Guattari, Chaosmose, 1992, p. 40.

10 F. Guattari, Chaosmose, 1992, p. 156. Les vitesses infinies sont grosses de vitesses finies, d’une conversion du virtuel en possible…

11 Guattari analyse avec Deleuze comment « L’exercice du pouvoir moderne implique désormais des procès de normalisation, de modulation, de modélisation, d’information qui portent sur le langage, la perception, le désir et le mouvement. », Deleuze et Guattari, Mille Plateaux, Paris, Minuit, 1980, p.573.

12 P. Criton, “ Nothing is established forever…” Rien n’est jamais acquis, dans The Guattari Effect, (dir) E. Alliez et A. Goffey, London, Continuum, 2011, traduction par A. Goffey.

13 P. Criton, “O ouvido ubiquista: escutar diferentementeL’oreille ubiquiste: écouter autrement, dans Cadernos de subjetividade, (dir) Peter Pal Pelbart Université Catolique Pontificale de Sao Paulo, Brésil, 2012, traduction par S. Ferraz.

14 F. Guattari, Chaosmose, 1992, p. 36.