DOSSIER CINÉMA – UIQ (UNIVERS INFRA-QUARK)

L’UNIVERS INFRA-QUARK

Félix Guattari était cinéphile et s’intéressait aux enjeux politiques du cinéma en tant que machine de subjectivation. Si bien que pendant les années ’80 il désire passer à l’action, derrière la caméra, en s’essayant à la réalisation d’un film de science-fiction. Guattari travaillera sur le scénario d’Un amour d’UIQ, initialement avec le cinéaste américain Robert Kramer, de 1980 à 1987, mais le film ne sera jamais tourné… Influencé à la fois par son travail clinique, son engagement dans la politique radicale, sa passion pour les bandes dessinées, les radios libres et les films de science-fiction, Un amour d’UIQ offre un prototype d’un cinéma populaire subversif. Un cinéma qui brouille les codes sémiotiques usagés, en construisant un champ d’affects impersonnels et trans-personnels, ainsi que des devenirs mineurs.

À travers un important travail d’archive et critique, UN AMOUR D’UIQ : SCÉNARIO POUR UN FILM QUI MANQUE donne à voir le processus de création et tout le hors-champ des possibles de ce film qui n’a jamais vu le jour et interroge la place de cette pièce, à la manière d’un puzzle, dans l’œuvre de Félix Guattari.

(Présentation Éditions Amsterdam, 2012)

  1. UN AMOUR D’UIQ (scenario de Félix Guattari)
  2. IN SEARCH OF UIQ (un film de Silvia Maglioni & Graeme Thomson)
  3. UIQ: the unmaking-of (une installation sonore de Graeme Thomson & Silvia Maglioni, avec 75 voix)
  1. UN AMOUR D’UIQ (un scenario de Félix Guattari)

 

UIQ: pour un cinema de l’infra-quark

Certain sémioticiens se sont attachés à éclairer les mécanismes inconscients à la lumière des techniques cinématographiques. Mais rarement des psychanalystes se sont exprimés en dirigeant directement une production cinématographique. C’est cette expérience que je voudrais tenter, non seulement au niveau du contenu narratif et psychologique d’une oeuvre filmique, mais également dans la trame perceptive et affective telle qu’elle est tissée à toutes les étapes de sa réalisation.

Félix Guattari, A Love of UIQ (LIMINAIRE)

« On se demande toujours s’il n’existerait pas de la vie ou de l’intelligence sur d’autres planètes, quelque part dans les étoiles… mais on ne se pose jamais de question sur l’infiniment petit… peut-être que ça peut venir de ce côté là, d’un univers encore plus petit que les atomes, les électrons, les quark! »

C’est en ces termes, qu’AXEL, un jeune biologiste de moins de 25 ans, expose à JANICE (étudiante quelque peu désœuvrée du même âge) la fantastique découverte qu’il vient de faire. Sitôt le dispositif installé pour établir un contact permanent avec l’entité mystérieuse une difficulté majeure apparaît – difficulté qui avait conduit à l’échec d’une première tentative d’Axel : cet univers, quoiqu’infiniment petit, est capable de perturber au plus haut degré, tous les systèmes hertziens de communication ! Il s’ensuit des dérèglements spectaculaires sur toute la terre. Dès que les membres de la communauté réussissent enfin à établir un dialogue verbal avec celui qu’ils appellent désormais UIQ (Univers Infra-quark), la situation se stabilise. Commence alors une phase d’apprentissage et d’échange mutuel entre deux mondes. D’un coté le petit groupe communautaire acquerra des instruments de connaissance et d’action proprement extraordinaires, tandis que de l’autre, l’Univers Infra Quark – en raison de son intelligence infiniment supérieure – ne tirera guère de bénéfice de la fréquentation des humains. Par contre, il subira un choc qui se révélera pour lui catastrophique : la découverte de l’amour dans sa relation avec Janice. Tout le paysage planétaire s’en trouvera irrémédiablement bouleversé. […] Cela nous conduit à créer un nouveau type de personnage – d’entité à l’aspect multiforme – révélateur d’une remise en question de la notion d’individu. Ce récit peut se lire, à un premier niveau, comme un scénario de bande dessinée, à un second niveau, on peut y voir la projection de problématiques d’ordre philosophique, psychanalytique et même psychiatrique. En dernier lieu, il est l’illustration d’une série d’interrogations prospectives relatives au monde d’aujourd’hui.

Félix Guattari, Un amour d’UIQ (SYNOPSIS)

Cette histoire est de la pure science-fiction. Elle commence avec un objet apparemment inerte, une boîte en carton, enterrée dans des archives isolées au milieu de nulle part. Mais l’objet a conservé ses étranges pouvoirs, d’où émane une lueur fluorescente, un champ énergétique prêt à projeter son aura sur les rares chercheurs qui se retrouvent en sa présence. La lumière pénètre alors sous leur peau, s’infiltrant jusqu’au cerveau. Elle s’insinue dans les réseaux neuronaux, colonise le cortex cérébral et s’empare de l’appareil décisionnel.

Félix Guattari aurait pu souhaiter un tel effet auprès du CNC, où il dépose le document en 1987, avec le soutien du producteur Lyric International, sollicitant l’avance sur recettes qui lui aurait permis de transformer le scénario d’Un amour d’UIQ en film.

Bien sûr, l’idée qu’un psychanalyste militant aurait pu convaincre un organisme de subvention étatique de soutenir une improbable superproduction que Guattari, sans expérience cinématographique aucune, se proposait de réaliser en personne, est en soi-même de la science-fiction. D’autant plus qu’au lieu d’une filmographie, le CV du cinéaste contient plutôt une bibliographie, des références à sa collaboration avec Gilles Deleuze, avec qui il dit avoir entrepris une « critique systématique de la psychanalyse et du structuralisme », aux formations d’extrême gauche auxquelles il a appartenu ainsi qu’à ses activités politiques contre la guerre d’Algérie (qui lui ont valu, il le souligne, d’être inquiété par la police) et contre la montée réactionnaire giscardienne des années 1970, à sa lutte contre toutes les atteintes aux libertés, Guattari s’étant notamment battu pour promouvoir un mouvement de radios libres en France (ce qui lui a valu un procès en 1977). Enfin, Guattari vante au CNC ses « contacts internationaux » : Toni Negri et Franco Piperno, cofondateurs de Potere Operaio, l’Autonomia italienne (il précise avoir pris une part active aux événements de Bologne en 1977), les mouvements d’Alternative à la Psychiatrie et ses représentants dont Cooper, Basaglia, Castel, Jervis… En outre, dans les notes d’intentions, il souligne l’importance du cinéma comme « expérience processuelle » et il décrit le héros UIQ comme une « subjectivité machinique sans délimitation fixe ni affectation personnologique constante ni option de sexe déterminé. »

Un amour d’UIQ évoquera un drame « parallèle à celui que connaissent aujourd’hui nos sociétés où la montée des formes de pensée, de sensibilité, d’imagination, de prise de décision assistées par ordinateur, la digitalisation d’un nombre croissant d’opérations matérielles et mentales ne parvient toujours pas à se réconcilier avec les territoires existentiels auxquels demeurent attachés notre finitude et notre désir d’être. »

Quant aux membres de la communauté où UIQ se manifeste, ils sont décrits comme « subjectivité moïque » et sont assimilés à des « naufragés d’un nouveau genre de catastrophe cosmique ».

On ne peut pas reprocher à la commission, à la lecture du dossier, d’avoir confondu les réflexions du réalisateur avec les dialogues de ses personnages, comme si, par une fuite sémiotique, le scénario avait englouti son auteur en le transportant dans une rétro-fiction où il serait devenu soudain le chef de sa bande à part de naufragés. Pourtant, ces éléments apparemment hors-cadre du dossier présenté au CNC jouent un rôle extrêmement important dans la biogenèse mystérieuse d’un film sur lequel Guattari travaille plus de sept ans. Bien que les dates soient vagues, dans l’Univers Infra-quark…

Il serait intéressant, un jour, de pouvoir écrire une histoire du cinéma au négatif, une histoire de sa matière noire, des films qui n’ont jamais été tournés… Curieusement, souvent, ce sont des projets ou des rêves de films de science-fiction qui restent inachevés, irréalisables. Cet aspect fantomatique est peut-être lié au fait que le cinéma de science-fiction est basé sur une contradiction qui hante la société moderne, industrielle, qui l’a produit et dont il est, dans un sens, l’un des documents les plus fidèles: les visions qu’il évoque des mondes futurs (utopiques ou dystopiques, peu importe) ou des civilisations extraterrestres, sont profondément limitées et conditionnées par les moyens et la logique de la production actuelle.

Ce n’est pas seulement l’effet des technologies vouées à l’obsolescence programmée qui tend à donner cet étrange sentiment d’anachronisme face à beaucoup de films de science-fiction, c’est surtout ce que Guattari appelle la production de la subjectivité. Si le cinéma reste l’une des machines les plus puissantes de cette production, cela fonctionne en général pour renforcer des subjectivités normatives et reterritorialiser les visions potentiellement les plus délirantes sur des figures d’identification du système capitaliste (l’individu, le couple, la famille nucléaire, la nation, etc.)

Comme l’a écrit Guattari, « Le cinéma est politique, quel que soit son sujet; à chaque fois qu’il représente un homme, une femme, un enfant ou un animal, il prend parti de la micro-lutte de classe qui concerne la reproduction des modèles de désir. La véritable répression du cinéma […] vise avant tout à imposer le respect des représentations dominantes, des modèles dont le pouvoir se sert pour contrôler et canaliser le désir des masses. Dans chaque réalisation, dans chaque séquence, dans chaque plan se pose un choix entre une économie conservatrice du désir ou une ouverture révolutionnaire. » La science-fiction pourrait logiquement devenir un foyer pour composer des nouvelles formes de vie et d’existence, un laboratoire pour expérimenter des processus de désir imprévisibles, ou même une « machine de libération du désir ».

Extrait de l’introduction à Félix Guattari, Un amour d’UIQ : scénario pour un film qui manque, Paris, Éditions Amsterdam, 2012 (Silvia Maglioni & Graeme Thomson)

DOWNLOAD L’INTRODUCTION COMPLETE (Un amour d’UIQ, Editions Amsterdam, 2012)

https://www.mediafire.com/file/1i7j38cznfv3fpn/INTRO_FR.pdf/file

2. IN SEARCH OF UIQ (un film de Graeme Thomson & Silvia Maglioni)

IN SEARCH OF UIQ

(Graeme Thomson & Silvia Maglioni, HDV, 72′, F/IT/UK, 2013)

 

In Search of UIQ développe l’histoire du scénario d’un film « qui manque » de Félix Guattari, Un Amour d’UIQ. Entre documentaire, fiction et essai, au travers du déploiement d’archives vidéo et film, de lettres et d’autres documents qui se mêlent dans une série de fabulations, In search of UIQ explore ce que le cinéma de l’infra quark guattarien aurait dû être (et pourrait encore devenir) en observant ses relations avec les transformations sociales et politiques les plus marquantes de notre époque, depuis les luttes autonomistes jusqu’à l’encodage digital de la vie. Construisant un contrepoint dynamique entre le scénario non filmé de UIQ et les hypothèses de ses manifestations possibles, In Search of UIQ crée une topographie fantôme de cette rencontre manquante sur grand écran impliquant science-fiction, schizoanalyse et micropolitique, en projetant UIQ vers des horizons présents et futurs.

TRAILER

DOWNLOAD Entretien (UIQ : Un livre de visions, post-éditions 2018)

https://www.mediafire.com/file/z50pr2xxakns07s/UIQ_entretien_FR.pdf/file

 

 

Pour recevoir un link au film vous pouvez contacter les réalisateurs :

lesfacsoflife@gmail.com

3. UIQ: the unmaking-of (installation sonore de Graeme Thomson & Silvia Maglioni, avec 75 voix)

UIQ: the unmaking-of

(installation sonore surround, 78′, 2015)

 

UIQ (the unmaking-of) est une œuvre sonore électro-acoustique que nous avons créée avec 75 « visionnaires » autour du scénario de Guattari, Un Amour d’UIQ. En travaillant à partir de la condition paradoxale de l’inachevé comme quelque chose qui est à la fois déjà là et pas encore présent, un champ potentiel de formes et de forces, nous avons essayé de produire le film de Guattari à travers une expérience collective de partage des visions, sans filmer une seule scène. Afin de trouver une forme pour le film et son personnage central, UIQ (l’Univers Infra-Quark) – qui selon Guattari n’a pas d’identité fixe ni de limites spatio-temporelles – nous avons organisé une série de séances dans plusieurs pays où nous avons invité les participants à devenir récepteurs, hôtes et émetteurs d’UIQ, et partager leurs visions et idées du film de Guattari ainsi que des manifestations possibles de l’Univers Infra-quark. L’œuvre sonore présente un montage de ces visions collectives, une composition de voix ponctuées par des signaux électroniques, de field-recordings et des fragments musicaux qui ouvre des aperçus affectifs d’un film qui manque.

 

Écoutez un extrait de la pièce sonore

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