Dans les champs schizoanalytiques

Félix Guattari avait une manière très particulière de construire les problèmes qu’il abordait. J’ai suivi son travail dans trois domaines : la construction d’une alternative à la psychiatrie asilaire, la conception des équipements collectifs, la clinique de la création artistique et institutionnelle. À chaque fois il élargissait l’espace en cause, pour y relativiser le problème posé, découvrir les lignes de fuite, et proposer des résolutions partielles, acceptables par les acteurs en présence. Il gardait toujours, et essayait de faire garder aux autres, la claire conscience que c’était provisoire. L’analyse crée un espace de décision à un moment et dans des circonstances données. Dans sa réflexion sont toujours présentes, par ses réseaux d’amis, les luttes dans le monde et leurs terrains multiples. Cela lui donne de multiples points de vue depuis lesquels des micropolitiques sont possibles. La schizoanalyse produit des transformations dans la perception des territoires.

Parmi ces transformations la prise de conscience de la déterritorialisation qui travaille l’ensemble de la terre et de l’univers, la sensibilité à la force des flux matériels qui emmènent les humains vers de nouveaux horizons, jouent un rôle essentiel. Il ne peut plus y avoir stabilité de la représentation ; la terre, les territoires sont emportés par des mouvements plus ou moins puissants, qu’il faut comprendre pour faire alliance et construire, avec lesquels il faut composer.

Pour sortir du caractère abstrait de ces affirmations je vais les décliner dans les trois domaines de l’alternative à la psychiatrie, des équipements du pouvoir, et de la clinique de la création.

De l’alternative à la psychiatrie à la recherche en sciences sociales

Au milieu des années 1960 la psychiatrie en France se trouve dans une curieuse situation : quelques cliniques privées et quelques hôpitaux développent une nouvelle pratique appelée psychothérapie institutionnelle qui a l’avantage de ne pas hospitaliser trop longtemps la plupart des patients. Pourtant, minoritaire, cette pratique ne correspond pas à la description du fonctionnement normal qui conditionne le remboursement des soins par la Sécurité sociale. La clinique de La Borde où travaille Félix Guattari avec Jean Oury est l’une des institutions motrices du mouvement, et se débat en permanence avec la tutelle ministérielle pour faire reconnaître ses manières de faire, et obtenir un prix de journée suffisant. Celui-ci est fonction principalement de la hiérarchie des personnels qualifiés employés par la clinique (médecins et infirmières), alors que La Borde fait intervenir de nombreux « moniteurs » pour des ateliers culturels et des activités diverses, et surtout a déhiérarchisé les soins et le ménage, pour plus d’efficacité et de contact entre personnel et pensionnaires. Les cadres de la sécurité sociale ne veulent absolument pas prendre en compte ce fonctionnement réel. Pourtant il permet de prendre soin d’environ 2000 patients avec seulement 120 lits, exactement ce que demande l’Organisation Mondiale de la Santé depuis le début des années 1960.

Des médecins architectes programmeurs d’hôpitaux sont envoyés à la clinique de La Borde pour enquêter, et prendre acte du nouveau mode de faire. Peu à peu les grands hôpitaux psychiatriques sis à la campagne sont invités à ouvrir des bureaux dans les hôpitaux généraux en ville pour les moments de crise, des consultations spécialisées, des foyers, des ateliers.

Dans la lutte pour une psychiatrie ouverte, qui remette les patients dans la vie civile et politique, de quels atouts dispose-t-on ? Si on se renferme sur chaque institution innovante pratiquant à son propre niveau la politique d’ouverture, le rapport de force avec l’administration est faible. Il s’agit d’une toute petite minorité de la profession qui a certes l’avantage d’en être l’aile marchante, et surtout d’être en phase avec l’expertise internationale.

C’est alors que Guattari se saisit de l’occasion offerte par les médecins enquêteurs du ministère venus à La Borde, pour élargir les alliances et augmenter l’espace de réflexion.

Un groupe de travail est constitué autour de leur enquête avec des psychiatres, des architectes, des étudiants. Pour les architectes, l’État dans sa définition des besoins en équipements collectifs, les hôpitaux par exemple, se trompe de bataille. Il répond aux demandes purement quantitatives des syndicats, qu’il ne peut satisfaire pour des raisons budgétaires. Mais il ignore les pratiques professionnelles innovantes, développées dans le secteur privé du fait des contraintes réglementaires dans le secteur public, qui innoveraient aussi si étaient levées ces contraintes.

Félix Guattari a résumé la transformation à introduire dans la programmation des équipements collectifs par la nécessité de créer un « promoteur institutionnel de l’équipement collectif » à créer, un agencement collectif d’énonciation qui tienne compte des particularités du territoire, des pratiques thérapeutiques, notamment de la pratique de la psychanalyse et de l’usage des médicaments dans le cadre de la psychiatrie, et qui par approximations successives, dans la recherche des meilleurs moyens de soigner en un endroit précis, arrive à définir la meilleure configuration possible d’équipement pour le moment.

Cette conduite de l’institution hors de l’état d’équilibre, à la merci de ce qui arrive d’imprévu, qui peut être heureux comme le passage d’un cinéaste (comme on le voit dans le documentaire Sur l’Adamant de Nicolas Philibert) ou d’un chanteur, mais qui est le plus souvent malheureux comme les absences récurrentes de personnel qualifié, est la condition sine qua non d’une conduite désirante, en adjacence aux machines constituant l’institution, dans un devenir non pas de reproduction à l’identique, de répétition stérile, mais d’inventivité.

La nouvelle pratique des lieux d’hospitalisation avec ses antennes urbaines, avec la montée des aides financières et sociales aux handicapés, n’est pas propre à la France. Guattari a commencé à lier toutes les pratiques psychiatriques différentes dans un réseau d’échanges intellectuels et de combat contre la tendance technocratique à vouloir limiter les budgets alloués à la psychiatrie par tous les moyens. Pour Guattari toutes ces expériences, aux fondements théoriques contradictoires, constituaient un même plan de recherche pour lequel il conviendrait d’élaborer une « métamodélisation » qui pourrait servir de ligne de fuite, de perspective de réflexion, aux pratiques des uns et des autres, comme aux débuts de la psychothérapie institutionnelle.

En quoi consiste la fabrication d’une géographie militante à la manière de Guattari ? C’est d’abord une géographie adjacente à un territoire ou un objet précis, qui se constitue progressivement par des mises en place de liens entre des territoires proches. Il s’agit de transformer par la transversalité la logique de l’administration, et de donner aux intéressés la possibilité de devenir agencement collectif d’énonciation, comme le propose également Jean Oury dans Le collectif1.

Guattari avait constitué ainsi en 1967 une entreprise collective de recherches en sciences sociales, le CERFI, « Centre d’études, de recherches et de formation institutionnelles ». En réponse à des demandes de l’administration soucieuse de comprendre mai 68 et de produire des équipements collectifs plus adéquats, nous avons travaillé cinq ans environ de manière très ouverte, avec des groupes, des assemblées générales, des innovations institutionnelles fréquentes pour faire tenir un agencement collectif d’énonciation, une puissance d’invention et parfois d’intervention. Une assemblée générale tous les mardis était le temps fort de regroupement, le lieu où venaient s’exprimer toutes les demandes et propositions périphériques. Ce lieu fixe était la caisse de résonance de tous les problèmes de l’heure : féminisme, mouvement homosexuel, prise en charge de la petite enfance, éducation permanente, couture, cuisine, soutien aux palestiniens, travail dans les villes nouvelles et les quartiers défavorisés. Un lieu d’évocation et de renvoi aux groupes spécialisés, sécables à l’infini au fur et à mesure de la reconfiguration des problèmes évoqués, rendue pertinente par sa prise en compte et sa mise en discussion dans le lieu central, dans la quasi-assemblée générale.

La pratique de l’espace de Guattari c’est notamment ce balancement entre lieu central et multiplicité des périphéries, entre La Borde et Paris, entre surexposition dans les assemblées générales et travail de cabinet retiré, cette image de la transversalité comme quelque chose qu’on parcourt, qu’on fabrique avec régularité, qu’on ne constate pas, qui ne préexiste pas, qu’il faut fabriquer par un regard errant, à la fois acéré au centre et flou sur les bords, un regard dont le centre est baladeur.

Les équipements du pouvoir

La question fondamentale pour Guattari c’est « quelle est la matière à option » dans cette situation où nous sommes. Comment les multiples déterminations auxquelles nous sommes soumis, et qui sont agies par des forces qu’il faut savoir reconnaître, créent des interstices, des vacuoles, d’où l’on peut faire surgir une nouvelle bifurcation. Comment peut-il y avoir un agencement d’énonciation, une reconnaissance de ces possibles ? Comment ne pas céder à la leçon productrice d’impuissance à laquelle s’est réduite le marxisme althussérien dominant vers 68 ?

Un hasard heureux a fait étudier au CERFI les équipements collectifs. L’action de l’État pour prendre le contrôle des populations produit paradoxalement leur mise en mouvement, non pas massive, mais à la marge, avec d’autant plus de puissance que ce mouvement prend la tangente de l’inertie normale. La migration cherche la promotion sociale, et dessine une nouvelle géographie des valeurs des territoires. La république loin d’être une, et égalitaire, devient une marqueterie de différences aux frontières labiles. La dénonciation récurrente des inégalités les renforce et stigmatise ceux qui en sont victimes. Tant qu’il est fait appel à la centralité pour gommer les différences, pour définir un nouveau fonctionnement normal qui prenne davantage en compte les lieux les plus déficients, on n’obtient qu’un abaissement des performances moyennes et une exacerbation des différences. Les avantages dans le domaine de la notoriété des services sont cumulatifs : ils permettent de bénéficier de nouveaux moyens qui renforcent la notoriété et ainsi de suite. C’est ainsi que les établissements scolaires les mieux cotés sont les plus anciennement établis, les anciens collèges de jésuites laïcisés, vers lesquels bons enseignants et bons élèves bien dotés convergent.

Est-ce que la prolifération actuelle des équipements collectifs amène à une aliénation irréversible de l’économie de désir et à la nécessaire obéissance au destin que tracent les mises à la moyenne territoriales des différentes sémiotiques qui les font fonctionner ? Ou bien transversalement à ces équipements ne se tisse-t-il pas une fonction d’agencement collectif qui va en défaire les aspects répressifs ? Dans la pratique administrative le recueil, à la fois statistique et par inspection sur le terrain, d’informations détaillées sur le manquement à la norme, fait l’objet d’un dépouillement qui se conçoit comme transversal, c’est à dire moyen. Or la transversalité que promeut Guattari est d’une autre nature : c’est la tension entre la performance exceptionnelle par créativité ou par obéissance, en tout cas tout à fait hors moyenne, et la performance également exceptionnelle par manque à la norme pour des raisons contingentes aux lieux considérés. Cette transversalité définit un espace à multiples dimensions de travail sur la transformation de l’institution. Il y a un espace de parole possible entre les garants nationaux du fonctionnement des institutions, et notamment leurs garants budgétaires, et les équipes locales dès lors qu’elles définissent leur espace de travail propre.

Aucun destin social incontournable ne garantit à certains territoires le retard. La proposition de Guattari c’est de construire des machines sociales qui viennent se mettre en travers de cette inéluctabilité. Il faut retourner le handicap en une force de différenciation et de conjugaison, dans la production d’une alternative. Il ne s’agit pas de construire une transversalité abstraite, corporatiste, en dehors des situations. Le changement est à produire en douceur selon les lignes de fuite que dessinent les nouvelles valeurs à mettre en œuvre. La circulation de l’information, des exemples, des questions, par l’intermédiaire de médias spécifiques est essentielle pour cela, et peut être favorisée par le développement des nouveaux instruments de communication miniaturisés et des réseaux sociaux.

L’approche transversale à toutes les forces qui constituent une situation en éclaire les signes autrement, latéralement par rapport à la problématisation que donne à chaque secteur son signifiant majeur. Il en découle des possibilités d’action portées par des forces faibles, des acteurs marginaux, et notamment, dès lors qu’il s’agit de débat sur des équipements collectifs nationaux, par des acteurs de territoires périphériques et minoritaires. Alors que tout ce qui est naturel, traditionnel, allant de soi, rappelle l’ordre, la construction d’une situation expérimentale va pouvoir exprimer l’économie de désir. En mettant en relation transversale les machines de signes de différents domaines, on pourra découvrir des relations nouvelles, et les faire varier. Comme le dit Deleuze, êtres et choses sont pris dans des relations en variation continue, selon une infinité de possibles.

Les équipements collectifs sont les machines abstraites du capital, qui commandent l’ensemble du champ social par des valeurs binaires telles que Signifiant/Non-sens, Utile/inutile, Beau/Laid. La « schizoanalyse » (terme inventé par Guattari pour signifier une analyse qui ne se propose pas d’annihiler les contradictions) établit au contraire des variations continues et des interférences multiples. Est-ce que c’est seulement un problème d’analyse, de description, ou est-ce que cela emporte la production, l’histoire ? Quand un groupe arrête de ranger les énoncés dans des cases, quand on les fait proliférer, de nouveaux seuils de cristallisation opèrent, la situation se trouve requalifiée.

Guattari a utilisé avec Deleuze la figure du rhizome en opposition à celle de l’arbre pour caractériser la forme multidirectionnelle et vivante des relations de désir. L’agencement rhizomatique transmet de manière virale les choix faits dans le sens de la libération. L’État, qui est au contraire par définition un agent de stabilisation du socius, a des organigrammes en arbres, ancrés lourdement dans des origines anciennes qui font loi. L’agencement collectif d’énonciation, le rhizome, se forme de proche en proche à partir de petits écarts. L’agencement collectif d’énonciation mine les stabilités en produisant de nouvelles terres. C’est avec prudence et discernement que doit se monter le nouvel agencement, dans une attention fine aux vecteurs de changement. Et dans la conscience que ce mouvement de changement provoquera d’autres changements dans les formes dominantes, des parades et des actions de conservation.

Déterritorialisation/reterritorialisation

Ici intervient ce que Guattari appelle la déterritorialisation, un mouvement de sortie de l’ancrage territorial, une désaffiliation, une mise en mouvement intime et matérielle à la fois. L’agencement deviendra machinique s’il se combine avec d’autres dans la production d’un processus de transformation collective. Différentes déterritorialisations sont à l’œuvre en même temps dans les flux matériels, dans les flux humains, dans les flux de signes et ne sont pas en phases, d’où des combinaisons qui peuvent aboutir à une reterritorialisation, à une reprise du processus dans d’autres sens. La déterritorialisation sensible dans les formes et les fonctions des machines successives, qu’exprime la notion de phylum machinique, va à différentes vitesses et lenteurs dans la constitution des territoires existentiels où vivent humains et animaux.

L’attention de l’analyste est attirée par les zones où l’ordre des signes ne représente pas l’ordre des choses, où le règne du signifiant est mis en cause par des évènements inattendus. Pour la perception normale, dite par Guattari « molaire », une certaine gêne renvoie à de multiples petits décalages infimes qui n’arrivent pas à s’agencer dans les normes, et que Guattari dit être produits à l’échelle « moléculaire ». Ceci est particulièrement évident dans le cas du corps sexué qui doit modeler sa subjectivité sur des modèles très contraignants alors qu’il est en fait sensible à une infinité de sensations élémentaires différentes. Les libérations des femmes et des homosexuels ont signifié, autant que l’accès à une série de nouveaux droits, la possibilité de vivre son corps tel qu’il est ou tel qu’on désire le transformer.

Comme on l’observe actuellement, plus la déterritorialisation des flux matériels est grande, plus le corps social renâcle à se mettre en phase avec elle et propose de la reterritorialiser sur des territoires existentiels limités voire fascisants. Le flux est d’énergie, d’informations, de matières premières, d’eau, d’électrons… Sa valeur dans la production de subjectivité n’apparaît que quand il se déterritorialise, quitte sa forme initiale, pour s’investir dans des territoires existentiels où il est transformé, converti, en nouveaux systèmes d’action ou pour s’investir. Le corps n’est pas clos sur lui-même, il fuit de toute part, il n’a pas de point fixe de sustentation, et c’est en accueillant cette mise en flux qu’il se rend capable d’écouter le monde, et d’y jouer sa partition. Les flux matériels sont la première expression de cette altérité constitutive de l’expérience humaine, ce que Lacan appelle le réel.

À la différence des flux qui sont omniprésents et non situés, nous vivons dans des territoires existentiels aux qualités reconnues par tous ceux qui y participent, qui correspondent à des aires et des temporalités délimités, des moments de l’histoire humaine caractérisés par un certain lieu et un certain air du temps. Contrairement à tous ceux qui décrivent ces territoires existentiels en termes d’identité, Guattari estime qu’il s’agit d’assemblages hétérogènes, marqués par des traits de singularisation qui dissonent d’avec l’environnement comme la petite phrase musicale de Vinteuil dans Proust. Quelque chose fait signe par rupture avec la monotonie et l’homogénéité ambiantes, et va faire attraction, agrégat, bifurcation des trajectoires préexistantes, va transversaliser la situation et se transformer en signe de ralliement d’un nouveau territoire existentiel.

Guattari propose dans ses Cartographies schizoanalytiques2 une représentation des tensions auxquelles nos corps et nos esprits sont soumis, et par rapport auxquelles il faut arriver à nous situer, en définissant la matière à option particulière qui s’en dégage pour chacun d’entre nous. Le schéma de Guattari est à quatre dimensions qui sont elles-mêmes des multiplicités. Les flux matériels sont animés d’une grande force de déterritorialisation captée dans les machines, utilisée pour faire vivre les territoires existentiels, mais déstabilisante pour la dimension animale et reproductive des constructions humaines. Les territoires existentiels au sein desquels est organisée cette reproduction ont fortement tendance à utiliser les ressorts de la similitude, de l’imitation. Et ce n’est que parce qu’il y a pullulement de territoires existentiels différents du fait du renouvellement des générations, du fait du développement cumulatif du phylum machinique, qu’une sorte de flou s’empare des territoires existentiels, que des multi-appartenances se développent et des reconfigurations. Ce qui fait signe, avertissement, de l’existence d’un territoire existentiel, n’est pas du tout un trait moyen et identificatoire, comme le croient les machines de pouvoir, mais un trait de singularité, un indicateur de devenir. Le nouveau territoire existentiel émergeant rentre de ce fait en conflit soit direct, soit par indifférence, avec les territoires existentiels déjà stratifiés par les machines de pouvoir. C’est l’époque difficile de l’innovation, mais déterritorialisation aidant, histoire continuant, les rapports de force vont se déplacer progressivement, et le territoire existentiel anciennement émergeant va se faire récupérer par les reterritorialisations dominantes.

La production de subjectivité créatrice, la production d’une autoréférence processuelle, c’est-à -dire de sa propre ligne d’erre, se déterritorialise des assujettissements produits par le pouvoir territorialisé de la propriété et de la discipline et par le savoir déterritorialisé et reterritorialisé par le capital, tout en s’appuyant sur les apports historiques qu’ils ont constitués. Le travail analytique allié au faire artistique ou institutionnel reconfigure la situation héritée, et redessine un nouveau territoire existentiel d’où mener l’innovation et la recherche.

À l’âge de l’informatique planétaire tout le problème est dans la capacité collective humaine de se réapproprier les dispositifs statistiques et de modélisation produits par le capital, dispositifs tendus vers une moyennisation et un effondrement des différences. En même temps sans désir, sans exploitation des différences restantes, le capitalisme ne peut pas progresser ; il y a donc un espace de tension au cœur du système au sein duquel opérer grâce aux coordonnées données par l’analyse, pour affirmer le droit fondamental à la singularité, pour pratiquer la création artistique ou intellectuelle.

1 Cf. Jean Oury, Séminaire de Sainte-Anne. Le collectif, Éditions du Scarabée, 1986.

2 Félix Guattari, Cartographies schizoanalytiques, Paris, Galilée, 1989.